Faire des miracles
En 1988, à l’âge de 40 ans, Stella
Gaucher-Murovic a quitté sa fructueuse carrière
en affaires pour l’emploi de ses rêves – travailler
avec des bénévoles.
«Je n’étais pas malheureuse dans mon
emploi précédent, explique-t-elle, mais il
manquait quelque chose à ma vie.»
Déterminée à trouver «sa place
dans la vie», elle a obtenu à l’Université Concordia
un diplôme en sciences sociales appliquées
et a mis ses talents au service d’organismes comme
l’Institut
national canadien pour les aveugles et
la Fondation canadienne des
maladies inflammatoires de l'intestin. Tout en appréciant
les défis qu’elle relevait, elle continuait à chercher
l’emploi idéal.
Heureusement pour nous, c’est à l’Hôpital
Douglas qu’elle l’a trouvé, à titre
d’agent de programmation et de planification pour
le Programme Aller de l’avant. Depuis 2003, elle
s’occupe à jumeler des bénévoles à des
personnes vivant dans la communauté, en foyers d’accueil
et dans d’autres ressources résidentielles
en lien contractuel avec l’Hôpital. Fort du
dynamisme et de l’enthousiasme de Stella, le programme
a dépassé toutes les attentes en desservant
non moins de 132 personnes dans 64 foyers, grâce à l’implication
de 104 bénévoles. Cette initiative contribue
quotidiennement à faire reculer les lourds préjugés
qui entravent le rétablissement des personnes atteintes
de maladie mentale.
Des influences précoces
On ne s’étonnera pas d’apprendre que
c’est depuis son enfance que Stella rêve d’influencer
le cours des choses. «J’ai grandi au cours
des années 1940 et 1950, où les gens avaient
tendance à s’en tenir à leur groupe
racial, culturel, religieux et de classe sociale. Cependant,
mon grand-père m’a appris que la beauté était
en chaque personne, qu’elle soit ou non différente
de nous. Il m’a surtout appris à agir selon
mes convictions et à ne jamais abandonner.»
Lorsqu’elle est entrée à l’école
primaire, Stella a appris ce que cela fait que d’être
humiliée pour une question de différence. «Je
n’oublierai jamais le jour où je n’avais
pas d’argent pour cotiser pour acheter un cadeau
destiné à notre institutrice, dit-elle. Lorsque
le groupe lui a donné le cadeau, elle a demandé à chaque
enfant qui avait donné de l’argent de lever
la main. Voyant ma main baissée, elle m’a
enfermée dans un placard et m’y a laissée
en larmes. Je n’oublierai jamais ce sentiment d’être
isolée et stigmatisée pour quelque chose
qui était hors de mon contrôle. Si je pouvais éviter à quiconque
d’éprouver ce sentiment, je le ferais»,
conclut-elle.
Des petits miracles
Dès son arrivée à l’Hôpital
Douglas, Stella s’est mise à visiter des foyers
d’accueil et d’autres résidences pour évaluer
leurs besoins. «Certains des résidants allaient
très bien, mais d’autres passaient la journée à fixer
la télévision ou le mur. Les responsables
des résidences faisaient leur possible, en plus
de leurs nombreuses autres responsabilités, mais
il était clair à leurs yeux que certains
résidants avaient besoin de plus d’interactions
sociales et de contacts avec la communauté que ce
qu’ils pouvaient leur offrir.»
Étape par étape, Stella a bâti une
liste de bénévoles qu’elle a su jumeler
aux résidants. «Ce genre de bénévoles
comptent parmi les plus difficiles à trouver en
raison des besoins énormes de la clientèle.
Il ne suffit pas d’être amical et gentil; il
faut bâtir une relation de confiance à long
terme et trouver des façons d’inciter chaque
personne à progresser de sa condition présente à l’état
souhaité. Quand cela se produit, on observe de petits
miracles.»
«En voici un exemple : une de nos bénévoles
est une septuagénaire toute menue avec une volonté de
fer. Je l’ai jumelée à deux résidantes
isolées. Elle les a emmenées à un
centre communautaire et les a aidées à se
lier d’amitié avec les gens. Aujourd’hui,
ces femmes sont invitées à des fêtes
et elles invitent des gens chez elles. Elles prennent aussi
l’autobus et le métro, ce qu’elles n’auraient
jamais fait auparavant. Cette démarche a porté leur
estime d’elles-mêmes à un nouveau palier.»
Le programme présente d’autres avantages. «Accompagnées
de nos bénévoles, les résidantes vont
partout dans la communauté, au parc, au cinéma,
au restaurant, à l’église… partout!
Leur confiance grandit dans la mesure de leur interaction
avec leur famille et leurs voisins, avec des amis ou des étrangers.
Certains résidants parlent sans détours de
leur maladie, ce qui contribue à abattre de lourds
préjugés au sujet de la maladie mentale.»
Enthousiaste à l’idée de pousser le
programme encore plus loin, elle y a introduit le «counseling
par les pairs». «Quatre de nos résidants
agissent déjà comme bénévoles
au Programme Aller de l’avant. La clé du succès,
c’est de bien réussir chaque jumelage. Chacune
des personnes appariées doit retirer quelque chose
de l’expérience.»
Des gens de tous les âges, venus de tous
les horizons
Toute personne âgée d’au moins 18 ans
peut être bénévole au programme, quelle
que soit sa formation. «Je cherche avant tout des
personnes qui savent écouter, qui sont enthousiastes
et qui se montrent prêtes à s’engager
pour un minimum de six mois pour aider le résidant à avancer
dans la vie. C’est tout un engagement, qui ne doit
pas être pris à la légère.»
Le pouvoir d’un simple bonjour
Comment réduire la stigmatisation sociale des personnes
atteintes de maladie mentale? «Nous pouvons être
de puissants ambassadeurs de la santé mentale auprès
du grand public, dit Stella. C’est à nous
de faire comprendre que beaucoup de gens atteints de maladies
mentales mènent des vies productives et satisfaisantes, à condition
de bénéficier d’un traitement approprié,
d’encouragements et de soutien.»
Stella suggère : «Lorsque vous rencontrez
des patients, assurez-vous de croiser leur regard et de
leur dire bonjour. Un geste aussi simple a le pouvoir de
valider un sentiment d’intégration au monde
qui les entoure. Rappelez-vous qu’il s’agit
avant tout de personnes. Voilà ce qu’est la
destigmatisation.» |